Maryse Gagné
Université du Québec à Montréal
UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT DES ARTS VISUELS ET MÉDIATIQUES COMPRIS COMME UN TRAVAIL DE CRÉATION
Le problème à l’origine de cette recherche est un profond sentiment de division éprouvé personnellement et par plusieurs professeurs d’art qui se sentent écartelés en raison d’une double appartenance : appartenance au domaine de la création artistique et appartenance à la profession enseignante (Bonin 2007). Les personnes formées en enseignement des arts ont une formation disciplinaire importante et vivent, par la création, une certaine forme d’actualisation de soi (Gosselin 2000). Une fois sur le marché du travail, elles ont souvent le sentiment de devoir faire le deuil du travail de création, et donc de renoncer à leur actualisation personnelle. Certains enseignants essaient de combler leur besoin de créer en maintenant une pratique artistique en sus de l’enseignement, mais il semble difficile de mener de front ces deux carrières très exigeantes. Il semble toutefois possible de créer un pont entre ces deux identités en vivant son enseignement comme un travail de création. Ainsi, l’artiste cohabite avec l’enseignant. Dans ce modèle, le duel identitaire fait place à un duo, en solo.
Maryse Gagné
Université du Québec à Montréal
UN MODÈLE D’ENSEIGNEMENT DES ARTS VISUELS ET MÉDIATIQUES COMPRIS COMME UN TRAVAIL DE CRÉATION
Le problème à l’origine de cette recherche est un profond sentiment de division éprouvé personnellement et par plusieurs professeurs d’art qui se sentent écartelés en raison d’une double appartenance : appartenance au domaine de la création artistique et appartenance à la profession enseignante (Bonin 2007). Les personnes formées en enseignement des arts ont une formation disciplinaire importante et vivent, par la création, une certaine forme d’actualisation de soi (Gosselin 2000). Une fois sur le marché du travail, elles ont souvent le sentiment de devoir faire le deuil du travail de création, et donc de renoncer à leur actualisation personnelle. Certains enseignants essaient de combler leur besoin de créer en maintenant une pratique artistique en sus de l’enseignement, mais il semble difficile de mener de front ces deux carrières très exigeantes. Il semble toutefois possible de créer un pont entre ces deux identités en vivant son enseignement comme un travail de création. Ainsi, l’artiste cohabite avec l’enseignant. Dans ce modèle, le duel identitaire fait place à un duo, en solo.
Corinne SANCHEZ IBORRA
formatrice en arts plastiques ESPE, Docteure en Sciences de l’Education. Université de Lyon, Laboratoire Education, Cultures, Politiques.
Les médiateurs culturels et les professeurs, quelles pratiques à l’Ecole ?
Les pratiques culturelles et esthétiques se développent dans les écoles françaises. Or, les identités et les postures professionnelles restent fragiles. Les frontières entre les pratiques du médiateur culturel au Musée et à l’Ecole s’estompent. A l’ESPE de Lyon, nous constatons que l’exposition au Musée étonne, fascine, interpelle, déstabilise les étudiants.
Les freins et les leviers de la visite muséale du côté des professeurs
Le médiateur culturel ou le professeur en tant que médiateur culturel au Musée permettent d’atténuer les freins à la visite, peur de l’inconnu, manque de documentation ou autre. Ils activent les leviers que sont les stratégies de visite : enquête, jeu, actions. Au départ les professeurs des écoles me disent : « Le musée c’est souvent ennuyeux et cher », « on ne connait pas les artistes et les œuvres », sous entendu « à quoi bon aller au Musée dans ces conditions ? »
Pour autant, certains s’y risquent à titre personnel ou professionnel, par désir de progresser tout en voulant être accompagnés par un expert : le médiateur et / ou le formateur. Ceci davantage, depuis la mise en place du Parcours d’Education Artistique et Culturelle (PEAC) et de l’Histoire des arts. Le PEAC a été rendu obligatoire en France, par la loi de refondation de l’Ecole de 2013. Ce parcours s’articule autour de trois piliers d’actions :
- Les rencontres directes ou indirectes avec des acteurs, des œuvres ou des lieux,
- Les pratiques individuelles ou collectives et les connaissances,
- L’appropriation d’un lexique spécifique aux arts permettant de s’exprimer, d’analyser une œuvre.
De ce fait à l’ESPE (Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education) de Lyon, je participe à différentes UE du Master de l’Enseignement de l’Education et de la Formation (MEEF) :
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Unité d’Enseignement (UE) 5 polyvalence : un atelier Culturel avec le Musée des Beaux-arts de Lyon où il s’agit d’une sensibilisation aux collections du Musée selon un thème et une visée pédagogique (Master 1).
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UE16 pour les masters 2 MEEF où il s’agira de découvrir un lieu : Musée des Confluences et une exposition permanente afin de monter des projets culturels.
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Les séminaires recherche où nous travaillons la Médiation culturelle et les savoirs artistiques auprès des élèves ou des professionnels, en utilisant l’observation participante puisque les stagiaires sont souvent en situation d’enseignement.
Au cours de ces UE, la médiation culturelle est définie avant toutes visites puis nous vivons des situations au Musée qui l’exemplifie. Selon Anne Quentin :
La médiation se distinguerait de la communication par son projet d’instauration d’un espace critique d’échanges, par une « pédagogie de la contradiction » fondée sur « une conscience des processus d’engagement et de distanciation » des individus dans la relation aux œuvres, aux dispositifs et aux lieux.
Comment accompagner la distanciation lors de la réception des œuvres. Afin de rendre la profondeur de l’œuvre, il est nécessaire qu’un ensemble d’informations soit transmises au visiteur. Le contexte sociohistorique, les techniques utilisées, la biographie de l’artiste ou sa formation. Cependant, cette démarche d’enquête n’est pas naturelle chez le visiteur. Il faut le faire agir pour travailler la prise d’indices (cartels, fiche de salle, autre) ou l’éducation du regard par la pratique du croquis (format, cadrage, composition, dominantes colorées etc.)
Comme le soulignent Bourdieu et Darbel cela n’est pas spontané :
Ceux qui n’ont pas reçu de leur famille, ou de l’Ecole les instruments que suppose la familiarité sont condamnés à une perception de l’œuvre d’art qui emprunte ses catégories à l’expérience quotidienne et qui s’achève dans la simple reconnaissance de l’objet présenté … »
A défaut d’une éducation par l’école ou avec elle, nous entendons les propos suivants : « c’est beau » ou « c’est laid ! », « ça ressemble ! » entre autres. Nous le comprenons, le plaisir esthétique doit être travaillé, Bourdieu et Darbel écrivent que c’est un plaisir cultivé.
La notion d’expérience esthétique
L’expérience esthétique est singulière. Selon Jean-Marie Schaeffer :
…l’expérience esthétique est une expérience humaine de base, et plus précisément une expérience attentionnelle exploitant nos ressources cognitives et émotives communes, mais les infléchissant d’une manière caractéristique…
Or le médiateur culturel peut faire fonctionner cette expérience esthétique. Pour autant, ils pratiquent de manière différente, c’est ce que je dégage dans ma thèse : La médiation face à l’Ecole vers une typologie des médiateurs culturels dans les Musées et Centres d’art :
Le médiateur modèle fait construire des repères, par rapport aux œuvres, aux artistes, de manière dynamique. Il/elle est exemplaire, les élèves doivent le suivre et synthétiser les informations transmises ou découvertes avec son aide. Ce qui prime, c’est de faire le lien entre l’artiste, le monde de l’art et le public scolaire. Le paradigme en serait donc le passage.
Le médiateur proche se situe dans une relation horizontale par rapport aux élèves, Il s’agit de développer l’Etre au monde et d’accueillir toutes les réactions et conceptions des publics scolaires, sans jugement. Il/elle s’appuie sur les sens, les émotions, les souvenirs avant d’aller au concept, dans un mouvement de l’individuel au collectif. Le groupe prime et le médiateur cherche le consensus. Le paradigme en serait dans ce cas : vivre des expériences ensemble en jouant sur l’empathie.
Le médiateur libérateur : ce médiateur vise l’émancipation du visiteur, son autonomie en utilisant différentes stratégies. Il/elle est plus innovant(e) dans les dispositifs, les consignes, bouscule un peu les règles pour ouvrir des horizons. Les élèves sont poussés à l’originalité, à prendre des risques dans leurs réponses. Le paradigme en serait le débat. Son but alors : favoriser le dissensus.
Le médiateur vecteur : Il/elle prend temporairement la posture du conférencier magistral d’où le choix du terme vecteur, il se situe dans une transmission de connaissances. Il simplifie le vocabulaire, adapte les connaissances à son public. Il/elle catégorise les œuvres, les mouvements. Le paradigme dans ce cas : la transmission des savoirs reconnus.
Etude d’un cas
Il s’agit de Nadine (prénom changé) professeur des écoles stagiaires en CM2 que je dirige en mémoire. Elle mène une expérience innovante sur l’année 2015. Lors de ce projet, il n’y a pas de convention signée entre l’Ecole et les deux Musées : Musée d’Art Contemporain, Musée des Confluences. Nadine dispose d’un petit budget, elle construit toutefois, en partenariat avec le service des publics du Musée d’art contemporain, les contenus et les modalités de visites (trois visites) dont la visite de l’exposition de Yoko Ono. Enfin, elle explore l’exposition l’Art et la Machine, au Musée des Confluences, en autonomie. Elle endosse dans ce dernier cas le rôle de la médiatrice culturelle. Elle part des a priori des élèves sur l’art contemporain, « c’est n’importe quoi ! », « C’est moche ! » afin de faire bouger leurs conceptions. Elle privilégie les débats argumentés. Elle encourage une autonomie progressive des élèves par des projets en petits groupes, la tenue d’un cahier d’aventure. Il y a une préparation en amont des visites en intégrant les questions, les attentes, les appréhensions des élèves et un retour en aval où les élèves expliquent leurs coups de cœur, leurs étonnements, leurs autres recherches. Nadine et sa classe construisent ainsi un projet structuré où les élèves sont actifs. En effet les élèves produisent des discours, des croquis, un carnet trace et pour finir une performance collective.
Il faut préciser que l’expérience de Nadine reste rare chez les professeurs des Ecoles. Elle avait confiance en elle car elle avait une formation initiale en arts plastiques. Pour d’autres professeurs moins à l’aise c’est le « A la manière de … » qui prévaut.
Nous pourrions multiplier les études de cas mais les plus innovantes ont un point commun : rendre l’élève acteur, critique, créatif tout en prenant des risques. Pour conclure, il faut jouer de l’altérité, c’est la rencontre de l’autre différent (œuvres d’art et personnes) qui prime et met en mouvement le visiteur de Musée.
Bibliographie
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BOUDINET Gilles et SANCHEZ-IBORRA Corinne(éd) Expérience esthétique et savoirs artistiques, Paris, Coll. Arts, transversalité, éducation, l’Harmattan, 2017
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BOURDIEU Pierre et DARBEL Alain, Les musées d’art européen et leur public, coll. Le sens commun, Paris, Les éditions de minuit, 1969, rééd 1992
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QUENTIN Anne, Médiation de l’œuvre : visibles et invisibles. Revue Raison présente, n°177, 2011, Paris, pp. 53-59.
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SCHAEFFER Jean-Marie, L’expérience esthétique, Paris, coll. NRF essais, Gallimard, 2015.
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SANCHEZ-IBORRA Corinne, La médiation face à l’Ecole vers une typologie des médiateurs culturels dans les Musées et Centres d’artsous la direction d’Alain Kerlan, professeur émérite en Sciences de l’Education, Laboratoire Education, Cultures, Politiques, Lyon 2, thèse soutenue le 12Juin 2014.
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